Bientôt, les petits yeux rouges insidieux et sans âme qui grouillaient sur les murs blancs et nus remarqueraient ses déambulations chaotiques. Elle serait prise dans la toile du monstre métallique aux mille regards. Elle ne serait plus pour lui une ombre insignifiante ; on la distinguerait ; on l'emmènerait ; on l'interrogerait. Qu'adviendrait-il alors ?
Auteur : Sophie Audoubert
Νεκυία #8
Rogokyne maîtrisait la composition de la matière ; il en connaissait la chair, minérale, organique ; il savait comment la manipuler pour en faire surgir des figures nouvelles et éblouissantes.
« D’où venons-nous Que sommes-nous Où allons-nous »
Spectateur, tu seras aussi le narrateur de l'histoire qu'on te dévoile, de ton histoire.
Νεκυία #7
On ne crie plus pour les morts. Leurs âmes attendent encore, affligées et seules, qu'on les appelle. Elles restent entravées dans un néant de silence. Sont-elles encore au fond de la mer, méconnaissables ; les a-t-on abandonnées dans la poussière du champ de bataille ? Elles ne le savent pas. Personne n'a crié pour elles ; elles ne sont plus rien.
Les tourments du désir
Revenir des aventures extraordinaires et héroïques, qu'elles soient celles, terribles, de la guerre, ou celles, non moins terribles, des lieux et des monstres merveilleux, c'est finalement trouver une consolation dans la poésie triviale de l'existence.
L’Odyssée, un big bang romanesque
L'Odyssée est, par excellence, le poème du retour: retour chez soi, retour aux siens, retour à soi. Le chemin est long, fastidieux, souvent dangereux et douloureux; il impose de nombreux détours. Et ce retour tant attendu sera pour Ulysse, non seulement un retour à l'intimité du foyer, une reconnaissance bouleversante de son fils, de sa femme, de son père, de ses sujets enfin, mais surtout, un retour à la civilisation, la sienne, et un retour à l'humanité, après les horreurs de la guerre suivies de dix ans d'errance dans des contrées sauvages, aux confins de la culture.
Νεκυία #6
Elle se pencha enfin, et posa sa main sur celle d'Ivan. Eux qui se regardaient depuis toujours se virent enfin. Elle vit les larmes, elle vit la terreur, elle vit la douleur honteuse. Jamais le visage d'Ivan ne lui avait parlé ainsi. Irina franchit alors le dernier interdit et le prit, ce visage, doucement entre ses mains. Leurs deux ombres emmêlées formaient sur le sol une figure inconnue, qu'aucune parole n'aurait pu interpréter.
Νεκυία #5
L'escamotage de la perte rendait caduc l'art de la métaphore. Sa capacité à dire la radicalité de l'expérience était devenue inutile. Le symbolisme, la collision des images, le discours et l'émotion qui se glissent dans l'interstice des rapprochements inattendus, l'audace des contraires qui se télescopent, la puissance des mots et des idées qui s'emboîtent mal, l'harmonie des phrases désaccordées, le cri muet de la littérature, la première main posée sur la paroi d'une caverne, le train impétueux des frères Lumière – tous, oblitérés par le désir de vaincre l'invincible. Et l'humanité n'avait plus de raison de laisser une trace.
Νεκυία #4
Rogokyne était arrivé jusqu'au parc. Il fut attiré par son obscurité. Il regarda nonchalamment autour de lui avant d'escalader prestement l'enceinte métallique. Tout semblait désert, mais il distinguait vaguement quelques ombres furtives qui se confondaient rapidement avec celles des arbres dès qu'il approchait. C'était les habitants de la ville souterraine, qui venaient, à la nuit tombée, goûter un peu de nature interdite.
Νεκυία #3
Les Rêveurs entre eux l'appelaient l'antichambre du rêve. Pour les autres, elle était un gros cube parfaitement hermétique, dans lequel on ne pénétrait pas, et qui fascinait. Mais pour eux, elle était devenue un lieu, très reculé, très secret, de leur conscience, différent pour chacun. Un lieu qui contenait le noyau même de leur être. Chaque Rêveur le ressentait ; aucun n'en parlait.